Pourquoi et comment mettre en place une évaluation d’impact ?

Alors que la notion d’impact gagne du terrain dans le monde de l’entrepreneuriat social et plus largement auprès des entreprises à mission voire même des entreprises classiques, l’enjeu est désormais pour les entreprises et les associations de parvenir à quantifier leur impact. Une évaluation d’impact social et/ou environnemental est un moyen pour y parvenir.

Pourquoi mettre en place une évaluation d’impact ? Comment la mener ? Pourquoi et par qui se faire accompagner dans cette démarche ?

Nous avons posé ces questions à 3 entrepreneurs, Nathalie Yves – fondatrice du Comptoir de l’Hirondelle, Sandra Pit – directrice de DK Pulse et Romain Lepez – responsable de la mesure d’impact chez DK Pulse, ainsi que Clara Cohade, cheffe de projet au sein du Laboratoire E&MISE (Evaluation & mesure d’impact social et environnemental) de l’ESSEC. 

 

Pourquoi se lancer dans une évaluation d’impact ?

Une évaluation d’impact est un outil aux finalités multiples. Il est d’usage dans le monde de l’évaluation d’impact social de distinguer les démarches qui ont une vocation de preuve (en anglais prove), c’est-à-dire de démonstration principalement orientée vers de la communication en externe, et celles qui ont une vocation d’amélioration (en anglais improve), c’est-à-dire de meilleure compréhension de l’action et de ses résultats afin d’affiner son pilotage et son développement. 

D’après l’étude conduite par le Laboratoire E&MISE et l’Impact Tank dans le cadre du Panorama 2021 de l’évaluation d’impact social et environnemental, les acteurs interrogés sont intéressés simultanément par les deux finalités, prove et improve. Ainsi, si 83% des répondants cherchent à mieux comprendre les effets de l’activité, 69% d’entre eux souhaitent mieux communiquer auprès de leurs parties prenantes

Pour les 3 porteurs de projets interrogés ici, répondre aux attentes de leur écosystème, principalement celles des financeurs, est la principale raison mise en avant pour se lancer dans une évaluation d’impact. En effet, les financeurs sont à l’affût de nouveaux indicateurs différents et plus long-terme afin de mesurer l’étendue de l’impact et l’efficacité, voire parfois l’efficience, de l’activité qu’ils financent. L’évaluation d’impact est alors un réel atout pour les structures qui veulent valoriser leurs activités au travers d’indicateurs pour attirer des financeurs ou pérenniser leurs financements. Les résultats de leur évaluation d’impact deviennent alors de réels moyens de promotion de leur structure, mais aussi de légitimation du tarif de l’offre et/ou du service proposé. 

“Les financeurs et les pouvoirs publics essaient d’avoir une nouvelle focale sur les projets. […] Cela doit aller au-delà du nombre de bénéficiaires et du ratio subventions attribuées / nombre de personnes prises en charge. Maintenant, on sent qu’il y a des demandes pour aller plus en profondeur. La mesure d’impact permet de répondre de manière plus optimale, plus fine à ce qu’attendent nos financeurs sur nos différentes actions.” 

Romain Lepez, anc. DK Pulse

“Aujourd’hui, sans mesure d’impact, on se coupe de toute une manne de financeurs qui sont attachés à payer / acheter des prestations à partir du moment où leur impact sur les bénéficiaires est prouvé.”

“A titre plus personnel, j’en ai assez qu’on me dise “ce que tu fais c’est super, on voit que ça apporte beaucoup” et de réaliser que quand je dis que ce que je fais est payant, alors les gens ne comprennent pas. L’impact, ce serait finalement de faire plaisir aux gens, et donc ça devrait être gratuit. À partir du moment où on travaille dans le social, ça devrait être gratuit. Sur ce point-là, la mesure d’impact m’a beaucoup aidée à prendre la mesure de ce que je faisais, à en déclarer la valeur. […] Quand je demande de l’argent, je n’ai plus honte.”

Nathalie Yves, Le Comptoir de l’Hirondelle

Toutefois, d’autres raisons, davantage liées aux enjeux internes des structures, les poussent à se lancer dans l’évaluation d’impact. D’une part, elle facilite le pilotage et la gestion de structures se focalisant sur des notions de création de valeur sociale et/ou environnementale en complément de la création de valeur financière, en leur offrant un panel d’indicateurs autres que financiers.

“La mesure d’impact est arrivée à un moment opportun pour l’association qui fêtait ses dix ans. Elle a permis de prendre du recul et de faire une photographie de ces dix ans, et de mettre en place une nouvelle stratégie tout en s’assurant du bon fonctionnement de nos actions.” 

Romain Lepez, anc. DK Pulse

D’autre part, les retours qualitatifs des bénéficiaires et surtout les verbatims permettent aux équipes de prendre conscience de l’impact positif qu’elles ont sur les personnes qu’elles accompagnent. Ainsi, elles perçoivent clairement le sens dans leur travail, se sentent valorisées et encouragées.

“Quand on lit les verbatims des bénéficiaires, vous ne pouvez pas savoir quel bien ça fait aux équipes de connaître les bénéfices qu’ils procurent aux bénéficiaires, directement avec leurs mots.” 

“Sur le terrain, je me suis rendue compte que l’évaluation d’impact a permis aux enseignants de l’association de replacer l’humain au cœur de leur prise en charge, de changer de focal sur leur métier et sur leurs résultats. Les tests physiques nous donnent des données chiffrées. Par contre, les entretiens qualitatifs nous donnent des retours sur le côté social, et remettent l’humain au cœur.” 

Sandra Pit, DK Pulse

 

Quels sont les points de vigilance à considérer avant de se lancer dans une évaluation d’impact ?

Si l’évaluation d’impact est un outil répondant autant à des demandes de l’écosystème qu’à des enjeux opérationnels, il s’agit d’un processus requérant une grande mobilisation en interne.

“Je devais faire “transpirer” la méthodologie lors des formations auprès des équipes encadrantes de l’association. Leur faire comprendre que cela représentait peut-être un peu de travail supplémentaire au début, notamment pour la mise en place des outils et le travail sur cette nouvelle philosophie, mais que c’était pour le bien de l’association et la pérennité des emplois.”

Romain Lepez, anc. DK Pulse

 Pour mener à bien une évaluation d’impact, il faut prévoir suffisamment de ressources pour rédiger des guides d’entretiens qualitatifs et/ou questionnaires quantitatifs, potentiellement contacter une diversité de parties prenantes, idéalement conduire une dizaine d’entretiens puis analyser les données qualitatives et/ou quantitatives collectées. Ce travail peut donc nécessiter une repriorisation de certaines tâches en interne afin de dégager suffisamment de temps pour s’y consacrer pleinement, dans des structures qui manquent souvent de temps et de moyens pour répondre aux  demandes qui émanent de leurs bénéficiaires.

  “La grosse difficulté était le manque de temps. L’étude quali, il fallait se déplacer, trouver des rendez-vous avec les animateurs, c’était fastidieux. L’étude quanti, relancer les non-répondants, c’était aussi très fastidieux.”  

Nathalie Yves, Le Comptoir de l’Hirondelle 

Aussi, pour obtenir une analyse approfondie de tout ou d’une partie des activités d’une structure, ce travail nécessite l’engagement et l’investissement des équipes et des parties prenantes. Or, il est parfois compliqué d’en mobiliser certaines, que ce soit par contrainte d’agenda, par manque de conviction de leur part, ou encore du fait d’un état cognitif ou physique (jeunes enfants, personnes en situation de handicap cognitif) limitant leur capacité à  participer. Il faut alors être inventif, s’adapter et trouver le moyen le plus adapté d’interroger ses parties-prenantes.

 

Quelle est la plus-value d’un accompagnement dans le cadre d’une évaluation d’impact ?

Une évaluation d’impact peut être réalisée selon plusieurs voies.

 

La première consiste à la confier à un cabinet externe qui se charge du cadrage de la démarche, de la construction des outils de collecte et de l’analyse des données collectées. Cette voie présente l’avantage de limiter la surcharge de travail des équipes puisqu’elles n’ont pas à se mobiliser pour conduire les entretiens, bien qu’elles restent régulièrement sollicitées par le cabinet pour s’assurer de la pertinence des outils utilisés. L’externalisation est également gage de crédibilité pour le travail effectué, de par l’expertise et l’objectivité apportées par les équipes de certains cabinets de conseil. En revanche, cette voie n’est pas accessible à tous : si elle demande moins d’investissement en temps, elle présente un coût financier qui ne peut pas être pris en charge par toutes les structures. D’après le Panorama de l’évaluation d’impact social (Impact Tank, Labo E&MISE, 2021), le budget alloué par les opérateurs sociaux ayant fait appel à des intervenants externes pour l’évaluation est variable. Il s’élève néanmoins à plus de 10 000€ sur la dernière année fiscale pour plus de la moitié des répondants.

> Pour en savoir plus sur les cabinets d’évaluation et de mesure d’impact

 

La seconde voie consiste à mener ce travail en interne. L’investissement en ressources humaines est plus important mais le coût financier est pratiquement nul. 

Pour vous lancer, n’hésitez pas à suivre le parcours évaluer son impact, composé de ressources gratuites, sur le site internet du Centre Innovation Sociale et Écologique de l’ESSEC.

 

L’accompagnement gratuit par un organisme pour l’internalisation de la démarche, comme celui proposé par le Laboratoire E&MISE de l’ESSEC dans le cadre du programme Size Up d’Antropia ESSEC, constitue une troisième voie qui permet d’allier rigueur méthodologique et internalisation de la démarche, dans un objectif de pilotage par l’impact social.

3 avantages : 

1.     Sans une méthodologie précise et structurante, l’évaluation d’impact peut rapidement s’avérer chronophage et douloureuse. L’accompagnement Size Up donne un cadre à ce processus en le découpant en plusieurs étapes, en proposant un suivi individualisé et en dispensant des cours théoriques sur les notions essentielles de l’évaluation d’impact assurant la rigueur méthodologique et la légitimité d’une démarche en interne (e.g. théorie du changement, cartographie des parties prenantes, échantillonnages statistiques, etc.) ce qui facilite l’acculturation à ces notions.

“J’avais de grandes attentes sur le volet méthodologique : j’ai été interpellé en apprenant comment on peut quantifier des résultats liés à l’humain. Ensuite, je souhaitais apprendre ce qu’on peut sortir d’une mesure d’impact et comment on peut le valoriser : nous sommes 16 dans l’équipe et j’étais en charge de la mesure d’impact, mais l’idée était que chacun se l’approprie et s’acculture pour ensuite en mener en fonction de ses propres besoins et projets.”

Romain Lepez, anc. DK Pulse

“Le point fort du programme c’est l’opérationnalisation, la mise en pratique, le suivi avec les experts et les temps théoriques des séminaires.” 

Clara Cohade, Labo E&MISE

2.     Aussi, les programmes d’accompagnement organisés en promotions permettent à chaque participant de se créer un réseau de structures traversant le même processus et partageant souvent des thématiques et indicateurs d’impact proches. Le partage d’expérience, de bonnes pratiques ou de ses difficultés et doutes font  partie intégrante du programme, rendant l’expérience encore plus enrichissante.

“La mesure d’impact était un monde qui m’était complètement étranger, donc j’étais très intéressée par l’acculturation, par la rencontre avec des personnes qui l’ont fait ou qui la font en même temps que moi.”

Nathalie Yves, Le Comptoir de l’Hirondelle

3.     Enfin, l’atout principal de cette voie de l’accompagnement est l’autonomisation des porteurs de projet leur donnant la possibilité de réaliser à nouveau une évaluation d’impact sur le long terme tout en conservant une forte rigueur méthodologique, sans être dépendant d’un acteur-tiers.

 

L’évaluation d’impact sur le long terme ?

Après une première évaluation d’impact, le défi consiste à élargir son périmètre, à explorer d’autres parties prenantes identifiées en suivant toujours la même méthodologie et en s’adaptant à leurs enjeux.

Cet élargissement poursuit un plus vaste objectif : permettre à la structure de piloter son activité par l’impact, en faisant de l’évaluation d’impact un des outils de pilotage. Loin de n’être destinée qu’aux financeurs, l’évaluation d’impact atteint au contraire son plein potentiel lorsqu’elle devient un outil de pilotage interne. Pour ce faire, il est néanmoins indispensable de la réaliser régulièrement. L’enjeu est donc de choisir certains indicateurs clés, d’automatiser leur collecte pour réduire le temps et les moyens alloués, et faciliter leur analyse. 

Une évaluation d’impact est idéalement un processus itératif, qu’il s’agit d’opérer en continu afin de pouvoir pleinement s’appuyer dessus pour faire des choix stratégiques alignés avec l’impact souhaité et la théorie du changement de la structure.

“Nous voulons que les entrepreneurs quittent notre programme avec l’ambition d’intégrer la mesure impact au pilotage de leur activité. Qu’ils n’aient pas juste un beau rapport mais aussi une feuille de route,en se disant “on veut structurer un comité de pilotage de l’impact””.

Clara Cohade, Labo E&MISE

 

Un conseil à donner à des entrepreneurs qui souhaitent se lancer ?

“Il faut se prévoir du temps et surtout ne pas avoir peur de se remettre en question. J’étais parti avec une vision, je me suis imaginé des choses qui se sont avérées ne pas être vraies. […] La première mesure d’impact est un brouillon, il faut la faire évoluer et ne pas avoir peur de la faire évoluer.”

Romain Lepez, anc. DK Pulse

“Il faut beaucoup d’humilité parce qu’on part en se disant qu’on va nous dire que ce qu’on fait, c’est bien. Il faut donc être prêt à entendre qu’il y a des choses qui ne fonctionnent pas.”

Nathalie Yves, Le Comptoir de l’Hirondelle

Size Up en chiffres

 

À propos

Le Laboratoire E&MISE de l’ESSEC

Depuis 2018, l’équipe du Labo E&MISE renforce la capacité à agir des acteurs du changement. Sa raison d’être est d’aider les acteurs à comprendre, maximiser et communiquer leur impact social. Son expertise repose sur plus de 10 ans d’expériences de recherche-action dédiées à l’évaluation d’impact social. L’équipe du Labo a pour objectif de :

– Développer les connaissances en expérimentant à travers des projets de recherche-action,

– Déployer des programmes de formation et des enseignements sur le sujet, et intervenir au sein de différents colloques académiques et manifestations grand public,

– Expérimenter de nouvelles méthodes et outils au service de l’innovation sociale auprès des acteurs de l’innovation sociale.

Retrouvez le MOOC (gratuit) sur l’Evaluation & la Mesure d’Impact Social : https://www.coursera.org/learn/evaluation-mesure-impact-social

 

Le Comptoir de l’Hirondelle

Le vêtement révèle plus qu’il ne cache… Le Comptoir de l’Hirondelle est à l’origine d’un dispositif « pop-up » pour enchanter les EHPAD, avec le vêtement pour prétexte. Estime de soi, lien social, cohésion d’équipe… Découvrez comment le textile permet de tisser des liens et contribuer à faire en sorte que les EHPAD restent des lieux de vie(s) et des lieux d’envies !

 

DK Pulse

Depuis sa création en septembre 2012, l’association a su asseoir son expertise sur les territoires de Dunkerque et des Flandres. L’association est spécialisée dans le sport santé et plus particulièrement dans la conception de programmes d’activité physique adaptée destinée à la population fragile. Elle travaille en étroite collaboration avec le corps médical afin d’adapter la prise en charge aux problématiques de santé des personnes.

 

Le Programme Size Up

Size Up est un programme d’accompagnement d’entrepreneurs sociaux à la mise en place d’une démarche d’évaluation d’impact social.

Les lauréats Size Up reçoivent un accompagnement à l’évaluation d’impact social individuel et collectif, afin de coconstruire leur démarche avec des experts de l’évaluation d’impact et d’autres entrepreneurs sociaux animés par les mêmes enjeux.Cet accompagnement est multipartenarial : il est mis en œuvre grâce à la collaboration entre les incubateurs Antropia ESSEC, Ronalpia, Atis et Inter-made, et le Laboratoire Evaluation & Mesure d’Impact Social et Environnemental (E&MISE) de l’ESSEC. Le programme Size Up est soutenu par le Groupe de protection sociale Malakoff Humanis.

 

Pour aller plus loin :