4 questions à… Louis Soutrelle, étudiant et porte-parole – membre du Conseil d’Administration chez Nightline

Depuis 2016, l’association Nightline France agit en faveur de l’amélioration de la santé mentale des étudiants et des jeunes : 

  • A l’échelle individuelle, en permettant à chaque jeune de prendre soin de sa santé mentale et d’acquérir les bons réflexes pour vivre ses années étudiantes sereinement, grâce à la ligne d’écoute nocturne et sa promotion directement dans les établissements d’enseignement mais aussi sur les réseaux sociaux.
  • A l’échelle collective, en permettant aux jeunes de prendre également soin de la santé mentale des autres dans une logique de pair-aidance et d’aller-vers : en formant les 250 étudiants bénévoles de l’association à l’écoute active, sans jugement et non-directive, ou en formant des étudiants à devenir des sentinelles étudiantes* (déjà 190 en Ile-de-France).
  • A l’échelle systémique, en développant des actions fortes de recherche, de communication et de plaidoyer avec d’autres acteurs phares (ligne d’écoute 3114, Psycom, Dites je suis là ou encore Cop1, le RESES, l’AFEV…)

*Les sentinelles étudiantes reprennent le principe des étudiants relais-santé, en se concentrant sur la prévention du suicide en repérant et orientant des pairs en détresse. Sentinelle est un dispositif né de la « stratégie de prévention multimodale du suicide » à un niveau national pour que les citoyens et non soignants puissent aider à la prévention du suicide. Nightline, avec l’aide du Groupement d’Etudes et de Prévention deu Suicide (GEPS), qui a aidé à crée le dispositif au niveau national, et des ARS, propose de former des sentinelles étudiantes, là où le dispositif national ne concerne pas que les étudiants.

A l’occasion de la journée mondiale de la santé mentale, qui a lieu tous les ans le 10 octobre, nous avons eu le plaisir d’échanger avec Louis Soutrelle, étudiant et ancien écoutant bénévole, désormais porte-parole de l’association Nightline.

 

Quels sont les principaux problèmes auxquels nous faisons face en France concernant la santé mentale des étudiants ?

Beaucoup d’études ont été réalisées dernièrement, par Santé Publique France, l’Observatoire de la Vie Etudiante (OVE) ou encore l’INSERM, pour essayer de dresser un état des lieux de la santé mentale des étudiants en France. Malheureusement, les résultats des études de ces derniers mois et de ces dernières années vont dans la même direction : les jeunes ne vont pas bien en France, en tous cas une partie trop importante d’entre eux. Un étudiant sur trois souffre de symptômes dépressifs, un étudiant sur trois souffre de symptômes d’anxiété, et un sur cinq révèle des pensées suicidaires. Et il s’agit des chiffres les plus “cléments”… L’étude de la Mutuelle Des Etudiants (LMDE) parlait de 68% d’étudiants en situation dépressive, 68% en situation d’anxiété, et un tiers ayant déjà eu des pensées suicidaires.

Ce sont des chiffres inquiétants qui ont été, comme les études commencent à le souligner, accentués par la crise du Covid. Même s’il faut faire attention : l’état de mal-être existait généralement depuis bien plus longtemps, et a été accentué par la crise. 

Nous avons constaté les impacts du Covid via les pics d’appels sur notre ligne d’écoute nocturne au moment des confinements. Cependant, aujourd’hui, nous recevons toujours beaucoup d’appels, et l’augmentation est constante.

 

 

Quelles sont les causes racines à ces problèmes ?

La santé mentale, de manière générale, est un sujet complexe car influencé par énormément de facteurs : sociaux, culturels, économiques, politiques, environnementaux. Le point commun de toutes les personnes qui nous appellent est qu’elles ont envie de parler à un autre étudiant, pour avoir des informations diverses et variées. Elles se sentent aussi parfois seules, ou d’autres fois elles ne se sentent pas bien. Cependant, ces sentiments peuvent naître pour beaucoup de raisons : l’une est obligée de sauter des repas à la fin du mois, l’autre vient de se prendre la tête avec son copain ou sa copine… Pour donner un repère, les 3 sujets qui reviennent le plus souvent sur la ligne d’écoute sont les difficultés dans la relation à l’autre (la famille, les amis, les amours), l’isolement, et le stress et l’anxiété liés aux examens.

Aujourd’hui, à tout cela s’ajoutent l’inflation, qui accroît le risque de précarité étudiante, mais aussi les questions climatiques et géopolitiques génératrices d’angoisses.

Il faut également souligner que l’accès aux soins de santé mentale est encore limité. Nous constatons que nous faisons des appels d’écoute certes, mais aussi des appels d’orientation : des étudiants souhaitent voir un psychologue mais ne savent pas comment s’y prendre, ils ne savent pas que le dispositif Mon soutien psy existe, ils ne savent pas énormément de choses en fait. Il faut donc à la fois les autonomiser sur le sujet, mais en parallèle d’un travail des universités qui doivent davantage mettre en lumière les solutions qui existent. Lors de ma dernière visite en amphi, trois étudiants sur la cinquantaine présents connaissaient le Service de Santé des Étudiants (SSE) par exemple. 

L’accès aux soins est aussi limité car les structures publiques (Bureau d’aide psychologique universitaire (BAPU), Centre médico-psychologique (CMP)…), il faut souvent attendre plusieurs mois avant d’obtenir son premier rendez-vous. Les étudiants doivent donc soit attendre plusieurs mois, soit payer leurs consultations en libéral. En gardant en tête que, d’après une étude de l’OVE en 2021, 25% des étudiants ont renoncé à aller voir un professionnel en raison d’un manque de moyens financiers. 

 

Quels sont les enjeux à venir ? Et les ambitions de Nightline ? 

Nous portons le message qu’il est nécessaire d’agir pour une meilleure santé mentale des jeunes et des étudiants, encore plus parce qu’il s’agit d’une population avec un risque plus important de dégradation de la santé mentale : période de construction de soi plus ou moins facile, départ loin de la famille pour la première fois et risque d’isolement, stress et anxiété liés aux études… 

Nous défendons, dans nos communications et dans nos contacts avec les décideurs publics, la nécessité de développer une stratégie nationale de la santé mentale des jeunes, avec les moyens financiers associés.

En 2020, notre recherche montrait que la France comptait un psychologue pour 30 000 étudiants, quand les recommandations internationales sont de un psychologue pour 1500 étudiants. A la suite de ce premier plaidoyer, nous sommes passés à un psychologue pour 15 000 étudiants : c’est mieux, mais toujours insuffisant. 

En 2022, notre plaidoyer portait sur l’évaluation des propositions du gouvernement, à l’image du Chèque Psy utilisé par seulement 1% des étudiants, ou le dispositif Mon soutien psy boycotté par 90% de la profession (en raison des faibles rémunérations). 

Il faut développer une démarche de santé mentale inclusive et pluridisciplinaire : encourager tous les membres de la société à se mettre autour de la table, pour mieux répondre à la diversité des besoins des étudiants, en disposant d’un large éventail de ressources. Il ne faut pas agir en silo mais dans une logique de parcours, à l’image de notre partenariat avec l’association Cop1 : lors des distributions des paniers repas, nous étions présents pour parler de Nightline. Utiliser cette complémentarité est notre meilleur moyen de faire connaître nos solutions.

Si le Covid a eu la conséquence néfaste d’aggraver les états de mal-être, il a aussi mis en lumière la situation dégradée des étudiants, avec la multiplication des reportages à ce sujet. Aujourd’hui, on parle de plus en plus de santé mentale, on démocratise le sujet. Nightline prône l’intérêt de parler santé mentale, de déstigmatiser le fait que “parfois c’est ok de se sentir mal”, que “c’est ok d’aller en parler à un professionnel de la santé, à la famille, aux amis”. Mais attention à ce que ce ne soit pas un “effet de mode”, et que les actions menées en ce moment par le gouvernement notamment, qui sont des actions pensées à court terme, soient suivies d’actions pensées sur le plus long terme avec un suivi de leur efficacité. 

 

 

Le souhait de Nightline à court terme, pour la prochaine journée mondiale de la santé mentale ?

Ce serait super que tous les étudiants puissent se sentir légitimes à parler de la santé mentale, avec l’idée qu’elle est aussi importante que la santé physique. Quand tu as mal au genou, tu n’hésites pas, tu vas voir ton médecin. Quand tu ne te sens pas bien, c’est malheureusement beaucoup plus compliqué…

 

 

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