Décryptage des enjeux de l’aidance en France
En 2023, 1 français sur 5 est aidant. Parmi les aidants actifs (70% d’entre eux), 20% dédient au moins 20 heures par semaine à leur proche, en parallèle de leur vie professionnelle et familiale. Plus de 80% d’entre eux voudraient des solutions pour faciliter leur quotidien, de l’aide financière et/ou matérielle à une meilleure coordination des différents acteurs impliqués dans le parcours de la personne aidée (Baromètre des aidants BVA / April, 2022).
A l’occasion de la journée nationale des aidants (6 octobre), à l’initiative du Collectif Je t’Aide, et parce que tout le monde est amené un jour à être aidant ou à croiser le chemin d’un aidant dans son entourage proche, nous avons proposé à l’action sociale retraite de Malakoff Humanis, et à Hélène de Chanterac, Co-fondatrice de l’association Nouveau Souffle, et Alice Steenhouwer, Directrice de l’association Avec Nos Proches, deux entrepreneuses engagées pour faciliter le quotidien des aidants, de nous apporter leurs éclairages sur les enjeux de l’aidance aujourd’hui et à venir en France.
Quels sont principaux problèmes auxquels nous faisons face en France en matière d’aidance ?
Alice — A mon sens, le problème principal est le manque de connaissance et de reconnaissance du terme “aidant”, que ce soit de la part des aidants eux-mêmes, mais aussi du grand public, des pouvoirs publics et des professionnels de santé. Aujourd’hui, il y a 11 millions d’aidants en France dans les chiffres envisagés, et le sujet demeure peu visible au sein de notre société.
Peut-être ne donne-t-on pas suffisamment de visibilité au sujet parce qu’il n’existe justement pas suffisamment de réponses aux difficultés des aidants ? Nous savons qu’avec le vieillissement de la population, le virage ambulatoire s’intensifie : les personnes fragiles restent de plus en plus à domicile, or le recrutement de personnel soignant est en difficulté croissante. On va donc continuer à en demander de plus en plus aux aidants, sauf qu’aujourd’hui il n’y a pas suffisamment de ressources pour répondre à leur demande et qu’en plus, ces ressources sont très disparates d’un département à un autre.
Hélène — La sensibilisation des proches aidants n’est pas assez conséquente, mais également celle des professionnels relais, notamment dans les domaines de la santé et du médico-social.
En France, un tiers des aidants n’a jamais entendu parler de ce statut. Je rencontre également beaucoup d’aidants qui savent ce qu’est un aidant, mais ne se reconnaissent pas comme tels, ne l’appliquent pas à leur situation personnelle. Soit parce qu’ils ne sont pas le premier aidant, soit parce qu’ils se sentent d’abord parent, conjoint… avant d’être aidant.
Il y aussi les personnes qui considèrent que pour l’instant, ils n’ont pas besoin de soutien. Il faut passer de logiques d’épuisement, de burn out, à des logiques de prévention. A l’association Nouveau Souffle, nous proposons des accompagnements sur-mesure utilisant des techniques de coaching. Le coaching aide la personne à identifier les ressources à mobiliser de manière durable pour vivre sereinement son rôle d’aidant. Notre vision, c’est qu’être aidant cela peut aussi très bien se passer et être une très belle expérience de vie.
L’enjeu est donc d’arriver à en parler. Cela passe par des campagnes de communication et sensibilisation bien sûr, mais aussi par l’intégration systématique des propositions de solutions dans des parcours spécifiques : l’intégration, par exemple dans le parcours de l’assurance maladie, de recherche d’emploi ou encore en entreprise, de moments où l’on propose aux aidants de se faire accompagner. Au-delà de la sensibilisation, il faut donc intégrer nos propositions dans des logiques de parcours, pour que le soutien ait lieu de manière proactive à certains moments de vie.
Malakoff Humanis — Faire entrer un aidant dans une logique de parcours nécessite effectivement de réaliser une communication efficiente, mais également d’agir sur les multiples freins que l’aidant opposera à se faire aider. Accompagner celui ou celle avec qui on s’est promis de vieillir, pour le meilleur et pour le pire, prendre soin de son enfant touché par un handicap ou s’occuper de ses parents vieillissants représente aux yeux des proches aidants une évidence, un devoir moral. C’est dans l’ordre des choses…
Trop souvent nos conseillers de notre dispositif « Autonomie Plus », en charge de l’écoute, du conseil et de l’orientation vers les ressources disponibles pour les aidants et leurs proches, constatent qu’ils vont jusqu’à l’épuisement avant d’accepter d’être accompagnés. La perte d’énergie peut porter préjudice à la personne tel que des symptômes de stress, des douleurs physiques et un sommeil très perturbé…. Armés de leur bonne volonté mais peu préparés à leur tâche qu’ils assument au mieux de leurs capacités, ils se sentent dépassés et éprouvent une forte culpabilité. La question est comment arriver à lever ces freins, sachant qu’il est primordial de prendre soin de soi afin d’avoir la capacité d’aider une autre personne ?
Quelles sont les causes racines à ces problématiques ?
Alice — J’en reviens au manque de ressources qui me semble être une cause racine. Aujourd’hui, ferme-t-on les yeux en comptant sur l’amour et le devoir des familles, des proches, pour se reposer au maximum sur les aidants ? Si on devait soutenir ces 11 millions de personnes (même s’il n’y a pas 11 millions d’aidants qui ont besoin d’un soutien important), les aides publiques ne seraient pas suffisantes pour proposer par exemple un congé de proche aidant ou une aide financière à tout le monde.
A la racine, on retrouve également l’évolution de nos sociétés ces dernières années. Il y a encore quelques décennies, la plupart des femme étaient au foyer et pouvaient s’occuper d’une personne âgée ou en situation de handicap dans la famille. Le sujet ne posait pas de question. La population mourrait également plus jeune. Les familles vivaient davantage ensemble, ne serait-ce qu’à proximité. Les foyers ont complètement évolué, entre les femmes qui travaillent, qui ont des enfants de plus en plus tard et se retrouvent dans une génération sandwich : “j’ai des parents très âgés, des enfants en bas âge et je travaille”. Les familles s’éloignent également : les aidants se situent à 200km de leurs proches en moyenne. Ces évolutions accentuent encore les enjeux de l’aidance.
Malakoff Humanis — Au facteur à prendre en compte, le vieillissement démographique couplé à la chronicisation de certaines pathologies pourrait mettre sous tension les proches aidants de personnes âgées fragiles et en perte d’autonomie, notamment lorsqu’elles vivent à leur domicile. S’occuper de son proche au quotidien, sans soutien extérieur par manque de ressources, peut avoir un lourd impact sur l’équilibre au quotidien de l’aidant. Les risques de tensions ou de conflits peuvent facilement survenir face à des décisions difficiles à prendre. Nombreux sont contraints de réduire voire de cesser totalement leur activité professionnelle pour s’occuper de leur proche, avec des impacts sur leurs revenus et parfois un impact négatif sur le calcul des droits sociaux. Cela engendre un effet domino sur la santé, le budget, la famille… Ceci dans un contexte économique et social compliqué qui vient amplifier des situations déjà précaires. Ces situations de parcours de vie nous ont incité à mettre en place un accompagnement sur mesure dédié aux aidants. Leur donner la possibilité de se recentrer sur leurs besoins et de pouvoir être accompagnés dans la résolution des difficultés qu’ils rencontrent dans leur quotidien, c’est la force de notre dispositif « Ressources aidants ».
Quels sont les défis à venir ?
Alice — Comme expliqué précédemment, la population est vieillissante. A horizon 2030, 1 français sur 4 sera aidant. En parallèle, le système de santé présente des difficultés croissantes : difficultés à recruter du personnel, soignants en burn out, hausse du maintien à domicile… Comment fera-t-on demain, avec non seulement des aidants épuisés, mais aussi des soignants épuisés ?
Le plus grand défi est de transformer l’accompagnement des personnes aidées, le rôle et le soutien des aidants, trouver un équilibre entre le domicile, les aidants et les soignants pour que tout le monde aille vers du mieux.
Hélène — Tout dépend des politiques d’incitation, qui sont encore timides. Des choses sont faites en entreprise mais ne s’étendent pas encore à l’administration par exemple, qui devrait être modèle. Derrière, en plus, ce n’est pas suivi, contrôlé, évalué. Quand une entreprise coche la case “je fais quelque chose”, quel est son impact réel?
En France, il y a des entreprises qui s’engagent. Le label Entreprise engagée Salariés aidants, initié par Klesia et Handéo et déployé en partenariat avec l’Agirc-Arrco, a été créé pour identifier ces entreprises. Cependant, pour aller encore plus loin, nous avons besoin d’évaluer l’impact des actions de soutien aux aidants. Aujourd’hui en France, il y a peu d’actions de soutien aux aidants qui donnent lieu à une évaluation rigoureuse et scientifique. Quel est l’impact d’un certain type d’accompagnement ou de formation sur l’épuisement d’un aidant, sur sa santé mentale, sur son stress, c’est pourtant essentiel pour ajuster les dispositifs. C’est ce que nous avons commencé à faire pour nos ateliers de co-développement. C’est certes compliqué, non seulement car cela requiert des moyens, mais tout simplement aussi parce que nous n’avons pas les données publiques pour évaluer. Il nous faudrait pouvoir identifier par exemple dans les données de l’assurance maladie qui sont les aidants, afin de pouvoir analyser ensuite de manière globale et anonymes leurs données de santé.
Malakoff Humanis — Depuis une dizaine d’année, la conséquence de l’allongement de la vie et le fait d’être parent plus tardivement impactent lourdement la vie familiale et créent de plus en plus de situations de multi-aidance : une personne peut être amené à s’occuper d’un conjoint malade et d’un enfant handicapé en même temps ou d’un conjoint malade et d’un parent en perte d’autonomie liée à l’âge. Les besoins se complexifient et se multiplient tandis que les réponses ne sont toujours pas ressenties comme adaptées.
Par ailleurs, l’éclairage récent mis sur les jeunes aidants via plusieurs études (JAID) ou par des associations comme JADE ou La Pause Brindille nous prouvent que toutes les strates d’âge peuvent être touchées. Il reste encore un gros travail de sensibilisation à mener auprès des professionnels de l’Éducation nationale pour pouvoir mieux les détecter. Les dispositifs de soutien et d’accompagnement sont également à repenser en fonction de leurs besoins. Nous avons pu observer de réelles avancées, notamment dans la nouvelle stratégie 2023 / 2027 « Agir pour les aidants », comme la revalorisation des bourses étudiantes pour des étudiants aidants, des aménagements d’horaires… mais beaucoup de chemin reste encore à parcourir.
La diversification de l’offre de répit est également un défi de taille, avec notamment le déploiement de nouvelles solutions de répit comme le relayage à domicile, et la rendre accessible pour que les aidants puissent davantage les utiliser.
De quoi avons-nous besoin pour avancer ?
Hélène — Il faut renforcer et généraliser les dispositifs de soutien aux aidants qui ont fait leurs preuves à la fois dans le monde de l’entreprise, ainsi que dans le monde médical, où elles n’existent pas aujourd’hui.
Par exemple, aux Etats-Unis et dans les pays anglo-saxons, il existe un certain nombre de programmes d’accompagnement des proches aidants dans les hôpitaux, avec notamment des techniques de coaching, qui ont été évalués scientifiquement et qui donnent des résultats positifs, efficaces sur différents éléments de santé physique et mentale des personnes.
Alice — Vaste sujet. En tant que membre du Collectif Je t’aide, nous militons pour plus de visibilité et de reconnaissance du statut d’aidant, pour que l’aidant se reconnaisse comme tel beaucoup plus tôt, et éviter une situation grave causée par la mise en place trop tardive d’aides. Nous demandons plus d’aides, notamment financières, comme des congés pour permettre à l’aidant de prendre des temps de pause, notamment au niveau de son travail. Nous voulons également plus de relais, plus de personnes sensibilisées et formées à cette cause. Nous avons aussi besoin de plus de places et de personnel pour accueillir les personnes aidées : pour que l’aidant se sente bien, il faut que la personne qu’il accompagne se sente bien aussi.
Malakoff Humanis — De structurer l’offre d’accompagnement afin de la rendre lisible, accessible et donc utilisable. Réduire les impacts que peut engendrer cette situation devient un enjeu de société. C’est pourquoi il est nécessaire de diffuser la culture de l’aidance et de construire un parcours « aidance » intégrant toutes les parties prenantes, les aidants eux-mêmes, mais aussi les professionnels et les institutionnels. Ceci de manière à la rendre accessible à n’importe quel moment : du début de l’aidance à la fin de vie, le deuil et l’après. Par ailleurs, placer l’aidant au cœur des démarches, faire avec lui et le rendre acteur permet de l’orienter vers des solutions adaptées et pérennes.
Un souhait à court terme, pour la prochaine journée nationale des aidants ?
Hélène — Aujourd’hui, 1 aidant sur 2 est épuisé, et se dit “démuni”. J’aimerais que ce chiffre puisse bouger, puisse être divisé par 2 l’an prochain, soyons fous ! Même si un quart, cela reste beaucoup.
J’aimerais aussi que l’on puisse discuter, par exemple lors d’une table-ronde, des propositions de soutien aux aidants dans les différents parcours cités plus haut.
Alice — Au nom du Collectif Je t’Aide, je souhaite des relais encore plus importants et partout pour faire connaître le sujet, pour que chaque année les chiffres sur la connaissance et la reconnaissance augmentent. Chez Avec Nos Proches, cette année nous recrutons des bénévoles d’un jour pour parler aux commerçants, professionnels de santé, voisins, amis… du sujet des aidants.
On connait tous un aidant autour de soi, c’est sûr. On est tous “malheureusement” amenés à être aidant un jour. Je dis “malheureusement” parce qu’aujourd’hui, il n’y a pas les ressources nécessaires pour que l’aidance soit définie uniquement comme l’aide qu’une personne veut apporter à une autre. Je souhaite que nous puissions moins en demander aux aidants, afin qu’ils puissent définir leurs limites, et que le proche aidé puisse lui aussi définir ses limites, afin de maintenir le lien affectif qui les lie.
Malakoff Humanis — Nous savons qu’il existe de fortes disparités entre les territoires. Les coûts, la qualité et la disponibilité des services ou encore la sensibilisation des aidants aux droits et ressources dont ils pourraient disposer sont très différents d’un département à un autre. Une harmonisation des politiques publiques permettrait à chacun de bénéficier de solutions de proximité et ainsi alléger leur quotidien.
Il est donc nécessaire à la fois d’agir sur les politiques, mais aussi de créer ou renforcer les initiatives territoriales de proximité et ainsi de faire travailler ensemble toutes les parties prenantes au bénéfice de l’aidant.
À propos
Malakoff Humanis
Malakoff Humanis est un groupe de protection sociale paritaire, mutualiste et à but non lucratif qui s’engage pour une société plus inclusive. Le Groupe consacre près de 180 millions d’euros pour accompagner les personnes en situation de fragilité et se mobilise pour de grandes causes telles que le bien vieillir, les aidants, le handicap ou le cancer en soutenant l’innovation sociale, en faisant la promotion des actions de sensibilisation et en investissant dans la recherche et dans des projets associatifs.
L’Action sociale retraite, financée par le fonds social de la caisse de retraite Malakoff Humanis Agirc-Arrco, s’engage à accompagner durablement et à protéger chaque jour ses ressortissants (salariés cotisants ou retraités) face aux aléas de la vie (perte d’autonomie, aidance, difficultés financières, deuil, handicap, …) en proposant des solutions adaptées aux différentes situations.
Nouveau Souffle
Nouveau Souffle propose des accompagnements personnalisés à tous les proches aidants (salariés, retraités, jeunes…). Elle défend l’idée de la richesse de chaque personne et de chaque période de la vie, promeut une approche globale de la personne en tenant compte de l’ensemble de ses besoins et aspirations.
Aider un proche malade ou dépendant est souvent éprouvant. Nous pensons qu’il est possible de vivre positivement cette période de vie et d’en sortir enrichi.
Être aidant mobilise de nombreuses capacités : gestion de l’organisation, de la fatigue, du stress, des émotions, de la relation, de la décision…
Toutes ces compétences comportementales s’apprennent : nous vous proposons de vous accompagner pour les développer plus avant.
Notre raison d’être : aider les aidants à vivre leur rôle plus sereinement !
Avec Nos Proches
Créée en 2008, l’association Avec Nos Proches est une association d’intérêt général ayant pour but de :
- Rompre l’isolement et la solitude des « proches aidants » en leur proposant un espace de parole libre et ouvert à tous grâce à un service d’écoute par téléphone.
- Soutenir, informer et orienter les aidants dans un esprit de valorisation des dispositifs d’aides existants sur les territoires.
- Sensibiliser à la problématique des aidants – en particulier le grand public, les pouvoirs publics, les professionnels du secteur sanitaire, médico-social, social, les entreprises, les élus…