Hybrider son modèle économique, une fin en soi ?
Un grand merci à Cécile Chassefeire, avocate spécialiste en droit des associations et fondations (Camino Avocats) et Julien Mast, Directeur du Mouvement e-graine (lauréat du programme Scale Up Entreprise en 2021) pour leurs éclairages qui, nous l’espérons, vous permettront de vous projeter dans vos réflexions sur l’hybridation en tant qu’association !
Dans notre monde en transition, les entrepreneurs associatifs sont souvent en recherche de modèles pour déployer leur projet ou pour maximiser leur impact. Dans leurs démarches, ils peuvent intégrer des perspectives d’hybridation perçue comme un levier de développement.
Qu’implique la mise en place ou la gestion d’une hybridation ? Comment une hybridation impacte-t-elle le projet associatif ? Cet article entend apporter quelques repères et pistes pour décider et pour agir.
L’hybridation, de quoi parle-t-on ?
Pour les entrepreneurs associatifs, il n’y a pas de référentiel consensuel sur la notion d’hybridation. En sciences, il s’agit d’un croisement entre deux variétés, deux races d’une même espèce ou entre deux espèces différentes. On parle de système hybride pour les voitures, lorsque le véhicule utilise deux sources d’énergie.
Dans le secteur associatif, il est possible de s’en tenir à l’idée d’une diversification des types de ressources ou d’une pluralité des profils des acteurs du projet (bénévoles, salariés, personnes mises à disposition, volontaires…).
En général cependant, la notion d’hybridation renvoie à une combinaison des approches et activités du secteur associatif et du secteur marchand : le projet de l’association associe alors des aspects liés à la culture associative, à l’intérêt général et des aspects attachés au secteur marchand, concurrentiel, dans une logique plus lucrative, dégageant des bénéfices financiers. Il y a alors mixité des types d’activités, considérées pour une part, comme dans le champ de l’intérêt général et sans but lucratif et pour une autre part, comme dans le champ concurrentiel et lucratif.
Dans un contexte d’hybridation, l’association utilise une diversité d’activités pour en faire un mélange fructueux.
En quoi l’hybridation peut-elle répondre au projet associatif ?
Chacun aura son parcours et ses objectifs et il n’existe pas une recette unique garantissant la réussite. Nous appréhendons l’hybridation comme un moyen au service du projet associatif, comme une voie pour mettre en œuvre une stratégie déterminée et répondre aux besoins du modèle économique de l’association.
Cela ne se limite donc pas à résoudre une problématique fiscale ou de droit du travail. Un seul aspect technique, juridique ou fiscal, ne doit pas suffire pour que l’association s’engage dans un projet d’hybridation. Ce n’est pas un chemin à la mode, à suivre par toute organisation.
« Trois grandes motivations nous ont conduit à hybrider.
1 – Lorsque l’on professionnalise une activité, on est amené à conclure des partenariats (avec l’Etat, les collectivités territoriales, d’autres acteur de l’ESS…). Ces partenariats peuvent amener, cinq, 10 ans plus tard, à une sorte de « mariage obligé » dans son activité. Je me suis fixé comme objectif numéro un d’être toujours en capacité de faire des choix. Vous ne savez jamais comment vous allez évoluer, mais également comment l’autre [votre partenaire] va évoluer, d’où la nécessité d’hybrider.
2 – Le projet associatif d’e-graine est d’accompagner les personnes afin qu’elles fassent des choix éclairés pour construire des territoires solidaires et durables. Or, on ne peut accomplir un choix éclairé qu’en étant autonome, et sans hybridation des ressources, pas d’autonomie. Tout notre modèle économique a été basé sur l’idée qu’à terme, 70% de nos revenus seraient issus de la facturation. Bien sûr, dans les phases d’évolution de l’activité, il y a eu des phases de variations. Si on a certainement changé 45 fois de modèle par phase de développement, on a toujours gardé cette vision en tête !
3 – Aujourd’hui, je pense que les métiers du social sont sous valorisés, car dépendants du prix posé par la politique publique, que ce soit dans le cadre d’une délégation de service public, d’un appel d’offre ou d’une subvention. Pour pousser un autre modèle de société, et participer à fixer la nouvelle valeur étalon, je ne dois pas me caler sur la norme mais sur ce que je pense être la réalité, et cela passe par la capacité à dire non à un prix non raisonnable. C’est un projet de long terme, politique, mais qui passe d’abord par une indépendance complète. »
⎯ Julien Mast, Mouvement e-graine
La structuration d’un projet d’hybridation prend en compte des aspects interdépendants : l’aspect juridique et organisationnel, l’aspect économique, les ressources humaines… Tous ces aspects sont articulés dans un ensemble cohérent et piloté en vue de la mise en œuvre de la stratégie. L’hybridation pourra être pertinente si elle répond au projet associatif, à sa vision à long terme, dans le respect des valeurs de l’association.
Une stratégie claire est donc un préalable nécessaire avant une décision d’hybridation des activités et avant d’en déterminer les modalités de mise en œuvre, notamment sur le plan juridique et fiscal.
A quelle structuration juridique l’hybridation correspond-elle ?
Lorsqu’une association développe un projet hybride, elle utilise les outils juridiques du droit commun. Soit elle gère la diversité de ses activités au sein de l’unique association, avec une organisation interne des personnes, des moyens, des ressources. Sur le plan juridique, cela a l’avantage d’avoir une seule personne morale à gérer même s’il convient de disposer d’une gestion adaptée à la pluralité des secteurs en particulier avec une comptabilité analytique, un suivi fiscal spécifique (cf. ci-dessous).
Soit l’association développe son modèle hybride avec plusieurs entités juridiques. A côté de l’association, sont constituées une ou plusieurs autres personnes morales de nature commerciale (type SAS, SARL), de nature coopérative (SCOP, SCIC), ou sans but lucratif (associations, fonds de dotation, fondations). Lorsqu’il existe plusieurs entités juridiques qui sont articulées entre elles, en réponse au projet stratégique d’ensemble, on parle d’un groupe associatif. L’enjeu est de maîtriser son organisation, les liens entre les diverses personnes morales, en veillant à leur autonomie et à une gestion rigoureuse notamment sur le plan comptable et fiscal. Le choix de la forme juridique des entités filiales ou membres du groupe associatif doit intégrer l’analyse des diverses dimensions du projet, prendre en compte les différents critères et contraintes, en fonction de l’environnement de l’association, au moment du choix.
« Nous sommes un groupe associatif, avec une tête de réseau et huit associations régionales, qui possèdent parfois des filiales. Par exemple, nous nous sommes lancés en 2008 dans une activité d’agence de communication dédiée aux acteurs de l’ESS, FAIRPROD, à travers notamment la création de vidéos. Cette activité existe encore aujourd’hui, mais elle vit de manière autonome. Elle appartient en partie à e-graine mais aussi à ces salariés. Nous amenons cette structure à devenir une SCOP, tout en gardant notre histoire avec elle, mais avec l’objectif qu’elle se développe en propre. Nous avons reproduit plusieurs fois ce modèle : proches du terrain, nous captons les signaux faibles, et grâce à la capitalisation sur notre ingénierie au fil des années, nous sommes capables de dupliquer/réinventer des réponses sociales de proximité. Deux SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collective) sont en cours de création en ce moment.
Ce développement fait qu’en 2020, nous avons eu besoin de reposer pour la 7e fois notre projet associatif, cette fois pour 2030. Aujourd’hui, nous travaillons sur la stratégie du modèle juridique à adopter pour nous permettre d’atteindre nos objectifs pour 2030 : de quels types d’interactions et de partenariats avons-nous besoin (ou non) entre les structures ? »
⎯ Julien Mast, Mouvement e-graine
Comment s’intègre la fiscalité au sein d’une hybridation ?
La gestion de la fiscalité au sein d’une association est une question technique essentielle que les dirigeants doivent maîtriser. C’est un critère contraignant dans la gestion de l’hybridation, notamment quand l’association a besoin de conserver les exonérations fiscales dont elle bénéficie, mais l’aspect fiscal ne doit pas remplacer la stratégie. Si le projet associatif et son modèle économique supposent que l’association soit exonérée des impôts commerciaux, notamment si elle s’appuie sur des recettes de mécénat, un projet d’hybridation devra être structuré en veillant à préserver ces exonérations. Dans une structuration avec la seule association, le développement d’activités accessoires entrant dans le champ des impôts commerciaux pourra conduire l’association à mettre en place une sectorisation fiscale. L’association gèrera alors en interne deux régimes fiscaux : un régime d’exonération des impôts commerciaux pour la partie prépondérante des activités de l’association et un régime d’assujettissement aux impôts commerciaux pour la partie accessoire.
C’est souvent dans ce contexte que la réflexion sur la création d’une filiale s’ouvre, la filiale étant sensée accueillir les activités soumises aux impôts commerciaux. Néanmoins, nous insistons sur le fait que l’approche fiscale ne doit pas être seule à guider la réflexion. En effet, pour qu’une association qui a une filiale commerciale conserve ses exonérations des impôts commerciaux, il ne doit pas y avoir de confusion entre les deux entités juridiques mère et fille. Il convient de pouvoir piloter chaque entité juridique avec ses moyens propres, ses équipes dédiées. Les éventuels liens ou flux entre les deux doivent pouvoir être justifiés et ne pas créer de « relations privilégiées » au sens de la doctrine fiscale (cf. BOI IS CHAMP 10-50-20-10 § 640).
Le point fondamental que l’association doit appréhender clairement est l’analyse fiscale de ses activités pour être en mesure de distinguer celles qui sont hors du champ des impôts commerciaux et celles qui doivent être considérées comme entrant dans le champ des impôts commerciaux en application de la réglementation fiscale. Les prévisionnels sur les différentes activités viendront alimenter l’analyse des scénarios.
« En 2009, j’ai envoyé un rescrit fiscal à l’administration pour leur présenter ma typologie d’activités à horizon 10 ans, afin de connaître la structuration financière et fiscale à adopter. Réponse : l’activité d’e-graine Ile-de-France est 100% fiscalisée. En fait, dans ma façon de formuler l’activité, je n’avais pas assez valorisé l’enjeu politique. Mon erreur est d’avoir fait une demande sans maturité politique, en commençant par une demande technique. Entre 2009 et 2014, nous nous sommes battus pour ressortir e-graine du champ concurrentiel.
Concernant les filiales, d’expérience, je tiens à rappeler qu’une filiale demande beaucoup d’investissement pour atteindre l’équilibre. Il ne faut pas faire ce choix pour des raisons de rentabilité, mais bien de développement d’un impact différent ou pour une raison de marché, juridique ou de métier. »
⎯ Julien Mast, Mouvement e-graine
En conclusion : pour accompagner le choix
Il n’y a pas de scénario idéal et chaque association aura à appréhender sa structuration en fonction de son histoire, de ses enjeux, de ses caractéristiques singulières.
Nous recommandons d’élaborer et de conserver des documents de synthèse qui présentent la situation de départ et les scénarios envisagés. Cela aura pour objectif de conserver ce qui explique les choix à l’instant où ils ont été faits, ce qui a éclairé les décideurs au moment où la structuration a été déterminée et lancée. Il est important d’organiser une traçabilité de ces orientations afin de pouvoir y revenir régulièrement pour conserver le cap souhaité ou, s’il y a des ajustements à faire au fil des temps, pour relire les motivations initiales et expliciter en quoi des modifications sont pertinentes.
C’est une exigence de formalisme qui est souvent difficile à mettre en pratique. Cela participe pourtant aux bonnes pratiques de gouvernance en donnant les informations utiles aux décideurs bénévoles pour leurs délibérations et c’est même obligatoire lorsque l’association dispose de représentants du personnel qui doivent être consultés préalablement à la décision des instances statutaires dirigeantes.
Une structuration d’un projet hybride vise à répondre au projet associatif, à ce pour quoi l’association a été créée. Elle s’appuie sur une approche prévisionnelle et suppose une prise de risques. Lorsqu’elle est raisonnable et argumentée, l’horizon est prometteur.