Jérôme Schatzman : « L’économie à impact modifie le modèle économique »

Directeur exécutif de la chaire innovation et entrepreneuriat social de l’Essec, Jérôme Schatzman explique les différentes motivations qui poussent les entreprises à se tourner vers l’économie à impact positif.

Que recouvre précisément le terme « économie à impact » ?

Certains parlent d’économie à impact, d’autres d’économie positive. Ces termes ont en commun l’idée que l’organisation prend en compte les différents impacts sociaux, sociétaux et environnementaux de son activité, voire qu’elle considère ces impacts comme prioritaires par rapport au seul profit qui ne peut plus être l’unique boussole de l’entreprise.

De nombreux exemples montrent qu’il est possible de concilier les deux : générer des profits et avoir un impact positif. Depuis une trentaine d’années, la prise de conscience se développe progressivement, d’autant que le réchauffement climatique devient chaque jour un peu plus une réalité. Dans les années 1990, le développement durable n’était pas du tout abordé dans les écoles de commerce, alors qu’aujourd’hui c’est un sujet plébiscité par les étudiants.

Quelles sont les motivations des entreprises qui s’engagent en ce sens ?

La notion de quête de sens ne concerne pas seulement les jeunes générations . Les décideurs plus âgés s’interrogent eux aussi sur le sens de leur activité, de leur passage sur Terre… Cela joue sur leur manière d’orienter leurs entreprises. « Je veux pouvoir répondre à mes enfants le jour où ils me demanderont ce que j’ai fait » est une phrase que j’entends de plus en plus souvent. Les investisseurs sont de leur côté plus regardants en imposant des critères de transparence et de responsabilité plus contraignants. Les gouvernements jouent également un rôle en créant l’environnement normatif favorable au développement durable.

Il y a aussi, à mon sens, un enjeu fondamental de marque employeur, les entreprises qui ne prennent pas en compte ces enjeux vont avoir de plus en plus de mal à recruter. On veut des « purpose jobs », des jobs avec du sens !

Et il y a enfin l’argument commercial. Certains consommateurs se tournent plus volontiers, et de plus en plus, vers des produits et services responsables, ils aiment savoir que leurs marques sont engagées pour un monde meilleur. Mais je pense qu’il y a encore du chemin à parcourir pour que cela devienne un déterminant clef de l’acte d’achat. On progresse, mais on n’est pas arrivé ! Il y a beaucoup de promesses des marques pour séduire ou rassurer le consommateur, mais parfois sur des aspects anecdotiques de leur business model. Si on prend l’exemple de la mode, deuxième secteur le plus polluant au monde, nous sommes encore vraiment loin du compte, malgré de superbes initiatives.

Quelles sont les bonnes pratiques pour transformer l’organisation en profondeur ?

Devenir un acteur de l’économie à impact positif est un enjeu d’innovation. Il s’agit de se réinventer en faisant évoluer ses produits ou services, ses process, son organisation, ses indicateurs de réussite. Pour innover, l’entreprise peut s’inspirer de ce qui se fait ailleurs, s’ouvrir à d’autres écosystèmes, et comprendre ses parties prenantes en travaillant avec ses clients, ses fournisseurs, ses partenaires, ses concurrents, les territoires où elle est implantée, les associations concernées par ses activités. Beaucoup de solutions peuvent venir aussi de l’intérieur, de la créativité des équipes, si on la sollicite et la valorise.

Pour innover, je pense aussi qu’il faut avant tout savoir prendre des risques, financer des expérimentations, accepter l’échec qui permet de progresser . Il me semble important pour une entreprise qui veut s’engager aujourd’hui de bien choisir ses combats, de ne pas forcément vouloir devenir exemplaire sur tout en un jour, et de mettre ces combats au coeur de sa stratégie. L’économie à impact positif n’est pas qu’une question de compensation carbone, c’est une modification profonde du modèle économique, social et environnemental de l’entreprise.

Article rédigé par Julie Le Bolzer dans Les Echos

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